«C’est une route semée d’embûches …en raison de la hauteur des précipices et la nature rocailleuse des terrains…»

The Ottawa Times, le 31 décembre1881

«Ils n’avaient ni chapeau, ni gants, ni bottes et aucun vêtement chaud. Ils venaient du sud de la Chine où il faisait très chaud et ils n’étaient pas préparés pour le froid de l’hiver».

Judi Michelle Young

«Je ne sais ce qu’il a fait pour le chemin de fer mais je sais qu’il y a survécu».

Cindy Leong

«Ils disaient que les camps étaient séparés et qu’il y avait un camp pour les Chinois et un autre pour les Blancs et qu’ils recevaient un salaire minable et qu’il fallait tout payer – la nourriture et autres frais - alors que les conditions étaient plus avantageuses dans les camps blancs».

Kevan Jangze

13 avril - «L’effondrement d’un rocher cause la mort d’un ouvrier chinois en train de creuser le flanc d’une falaise près d’Alexandra Bar».
4  septembre – «Un Chinois meurt lors d’un éboulement».
11 septembre –  «Un Chinois meurt asphyxié dans un effondrement de terrain».

Extraits du journal de Henry Cambie, 1880

Après un long voyage éprouvant à travers le Pacifique, les nouveaux arrivants faisaient une courte traversée à travers le détroit de Georgia jusqu’au territoire continental de la Colombie-Britannique, puis le bateau les emmenait le long du fleuve Fraser jusqu’à Yale où ils commençaient leur travail avec le CFCP. La ville de Yale qui s’était développée durant la ruée vers l’or était alors en déclin et grâce à la construction du chemin de fer a pu connaître un regain d’activités. C’est là qu’habitait Onderdonk avec sa famille et toute sa suite mais aussi les travailleurs qui logeaient dans un camp pouvant contenir jusqu’à un millier de travailleurs. Ces camps existaient aussi à Savona’s Ferry et Port Moody.

Au nord de Yale se trouvait le redoutable Canyon Fraser et Hell’s Gate et la rivière de l’autre côté de la ville était impraticable. Le reste du trajet jusqu’aux chantiers de construction s’effectuait à pied. Les Chinois étaient divisés en groupes de 30. Chaque groupe comprenait un cuisinier, un aide-cuisinier et un Chinois responsable de la mise à jour des heures de travail et autres détails, et un contremaître blanc qui communiquait directement avec le responsable chinois. Une fois répartis, les groupes empruntaient des sentiers montagneux pour se rendre à Lytton. Ils étaient chargés de lourdes palanches et de gros paquets sur le dos et souvent, il fallait grimper, un à un, le long d’une corde pour atteindre les chantiers de construction.

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Deux sections du chemin de fer - de Port Moody à Yale (145 km, 90 mi) et de Lytton à Savona’s Ferry (113 km, 70 mi) - sont attribuées au travail des ouvriers chinois. La section de North Bend à Lytton (42 km, 27mi) a été construite par des ouvriers chinois, blancs et aborigènes et celle reliant Yale à North Bend (45 km, 27 mi) par une main-d’œuvre essentiellement blanche.

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Les tâches les plus difficiles et dangereuses étaient attribuées aux travailleurs chinois. Avec de simples outils et le travail de leurs mains, ils ont construit des ponts, des tunnels et des empierrements sur un trajet passant à travers de profonds canyons, des fleuves et des montagnes de granit. Le travail était épuisant. Ils utilisaient des charrettes ou des palanches pour transporter une quantité incroyable de roches et de graviers. Nombre d’entre eux périssaient lors des opérations de dynamitage dans des éboulements de tunnels ou autres accidents. L’utilisation de la nitroglycérine était très risquée mais elle coûtait moins cher que la dynamite TNT, plus stable, et réservée aux travailleurs blancs. Les Chinois travaillaient dans des conditions extrêmement dangereuses, parfois ils étaient accrochés au flanc d’une montagne ou au squelette d’un pont en construction, suspendus dans le vide par un harnais.

Ils supportaient très mal l’hiver rigoureux dans les montagnes. L’ingénieur Henry Cambie écrit dans son carnet : «les hommes chinois qui travaillent encore semblent beaucoup souffrir du froid, ils se couvrent la tête et  portent de gros manteaux pour travailler». Pour certains d’entre eux, travailler à partir de la mi-novembre était quasiment impossible.

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Malgré le climat rigoureux et les mauvaises conditions de travail, les hommes chinois étaient reconnus pour être des travailleurs remarquables. Le directeur de la Compagnie Onderdonk, Michael Haney, a écrit qu’il n’y avait aucun acte malhonnête ou répréhensible à signaler. J.A. Chapleau, le Premier Ministre du Québec témoigna lors de la Commission royale sur l’immigration chinoise en 1885 à propos des travailleurs chinois «qu’à ce jour, je n’ai jamais rencontré de travailleurs aussi ardus».

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Alexandria Sham parle de son grand-père qui travaillait comme cuisinier…

Il existe très peu de documentation sur les aspects personnels de la vie des travailleurs chinois dans les camps de travail du chemin de fer et le peu dont nous disposons reflète le point de vue des observateurs blancs. On n’a jamais retrouvé les lettres, notes ou journaux personnels des travailleurs chinois. Par ailleurs, la transmission orale aux générations futures s’est faite de manière sporadique. Il existe toutefois une collection de photos prises à l’époque des camps de travail.

Les camps situés à Yale, Savona’s Ferry et Port Moody pouvaient contenir jusqu’à 1 000 hommes ou plus. À l’intérieur des camps, on trouvait des magasins chinois et des salons de barbiers. Au  début des années 1880, deux hommes, Cheng Ging Butt et On Lee, ouvrent un magasin général à Yale qu’ils continueront à opérer après la fin des travaux. D’autres indices signalent la présence de magasins indépendants opérés par des compagnies à l’extérieur de Victoria. Il y avait aussi des magasins chinois dans les villes situées le long du chemin.

La nature transitoire du travail est probablement l’une des raisons qui explique l’absence de syndicats, loges ou associations de travailleurs chinois sur les chantiers de construction même s’il en existait quelques-uns à Victoria et à Barkerville. Toutefois des grèves furent organisées par les travailleurs pour protester contre leurs conditions de travail. En 1881, suite au prélèvement d’une taxe de 2% sur les salaires, des centaines d’ouvriers, armés de barres de fer, de pelles et de pioches, ont attaqué les bureaux d’Onderdonk à Yale.

Partis à la conquête de la Montagne d’or, les travailleurs du chemin de fer arrivaient difficilement à joindre les deux bouts. Victimes de discrimination, les travailleurs chinois recevaient un salaire inférieur à celui des travailleurs blancs. Souvent, les travailleurs chinois qui pensaient économiser assez d’argent pour rentrer en Chine et vivre confortablement n’arrivaient même pas à payer leur billet de retour.

Avec un dollar ou moins par jour, les Chinois pouvaient à peine survivre. Tenus par leur contrat à s’approvisionner dans les magasins de la compagnie CPR, les travailleurs payaient des prix exorbitants pour l’achat de nourriture, de vêtements, d’équipements et les frais d’hébergement.  Ils arrivaient difficilement à faire des économies car, en plus, ils ne recevaient aucun paiement durant les trois mois d’hiver où les chantiers étaient fermés. Ce qui contribuait à une réduction substantielle de leur salaire annuel. À la fin de l’année, ils se retrouvaient en moyenne avec seulement 43 dollars d’économies. Comme la plupart d’entre eux avaient emprunté de l’argent pour payer le voyage au Canada, ils utilisaient cet argent pour rembourser les dettes contractées auprès des compagnies ou des agences.

Grâce aux salaires minables des travailleurs chinois, Onderdonk a pu réduire ses coûts de construction de vingt-cinq pour cent et éviter la faillite. On estime qu’en ayant recours à la main-d’œuvre chinoise, il a pu économiser entre 3 à 5 millions de dollars.

Kevan Jangze parle de la ségrégation…

On ne connaît pas le nombre exact de travailleurs chinois qui ont péri durant la construction du chemin de fer. À peine sont-ils mentionnés dans les rapports d’accidents de la Compagnie d’Onderdonk chargée de rapporter la mort de chaque ouvrier blanc. Le journal d’Henry Cambie, l’ingénieur chargé par le gouvernement canadien de veiller au déroulement des travaux, et les nouvelles rapportées à cette époque font état d’un nombre élevé d’accidents mortels. Le Inland Sentinel écrit en 1883 : «Les travailleurs chinois qui travaillent sur le chemin de fer en Colombie-Britannique sont de plus en plus nombreux à y laisser leur vie».

Le témoignage d’Onderdonk à la Commission royale sur l’immigration chinoise de 1885 chiffre le nombre de morts à environ 600 seulement alors que d’autres estimations font état de milliers de morts. Les travailleurs chinois qui ne bénéficiaient d’aucune protection ou de mesures de sécurité étaient souvent victimes d’accidents sur leurs lieux de travail. Nombre d’entre eux mouraient dans des effondrements de tunnels ou des éboulements lors des travaux de dynamitage. D’autres succombaient aux maladies causées par les conditions insalubres dans les camps et les rigueurs de l’hiver. Des centaines sont morts de scorbut, une maladie causée par une alimentation pauvre en vitamines et composée essentiellement de riz et de saumon séché.

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Les malades livrés à eux-mêmes ne recevaient aucun soin puisqu’il n’y avait aucune assurance maladie dans le contrat avec Onderdonk ou les organisateurs du voyage au Canada. Souvent, on ne prenait même pas la peine d’informer la famille du défunt et aucune compensation n’était offerte, contrairement aux stipulations du contrat. En 1891, le Chinese Consolidated Benevolent Society a rapatrié en Chine les os de plus de 300 hommes enfouis dans les tombeaux des canyons Fraser et Thompson.

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Stan Fong parle des os de son grand-père envoyés en Chine…