«La  Législature du Canada peut décider à n’importe quel moment de fermer les portes du pays aux immigrants chinois, ceux qui sont déjà établis ici vont disparaître rapidement … et il n’y a donc aucune raison de craindre une dégradation permanente de notre pays par l’invasion d’une race bâtarde.»

PM John A. Macdonald, 30 avril1883, Chambre des communes

«Quand un homme chinois vient ici, ... il ne vient pas avec sa famille, il est un étranger, un homme de passage … il n’a rien en commun avec nous … le Chinois nous donne son labeur et reçoit de l’argent en retour, mais cet argent il ne l’investit pas ici pour le faire fructifier, il le garde pour son retour en Chine… il  n’a absolument rien de britannique dans sa manière d’être … et n’est donc pas en mesure de voter».

PM John A. Macdonald, 4 mai 1885, Chambre des communes

«La Loi d’exclusion, elle a affecté ma famille de manière très réelle. Durant la période d’exclusion, mon grand-père a été plusieurs fois en Chine et jusqu’en 1947, l’année de l’abrogation de la loi d’exclusion, il a vécu séparé des membres de sa famille, ma mère, ma tante et ma grand-mère qui étaient forcées de rester en Chine».

Landy Ing-Anderson

«Après examen minutieux des pertes encourues par les résidents chinois de Vancouver suite aux émeutes anti-asiatiques, j’estime que les pertes totales, actuelles et résiduelles, s’élèvent à 25 990 $»

William Lyon Mackenzie King, sous-ministre du Travail, dans le rapport de la Commission royale sur les pertes encourues par la population chinoise de Vancouver (C.-B.) lors des émeutes en septembre 1907

«Ces chiffres indiquent que l’afflux massif des Chinois en Colombie-Britannique lors de la construction du chemin de fer Canadien Pacifique a pu être absorbé, la plupart d’entre eux semblent établis dans ce pays ou ont été remplacés par de nouvelles arrivées.»

William Lyon Mackenzie King, sous-ministre du travail, dans le rapport de la Commission Royale sur l’immigration orientale, 1908

«L’imposition de la taxe d’entrée visait à restreindre le nombre d’immigrants chinois, il ne pensait pas faire partie de ce groupe puisqu’il avait déjà obtenu la citoyenneté canadienne».

Judi Michelle Young

La discrimination envers les Chinois remonte aux débuts de l’histoire du Canada. L’arrivée des Chinois au Canada commence une décennie avant la Confédération de 1867 lorsque des milliers de prospecteurs chinois quittent leur pays pour se joindre à la ruée vers l’or dans la vallée Fraser. La quête des Chinois vers la Montagne d’or est la même que celle des explorateurs et colons non-chinois, mais les Chinois, perçus comme indésirables par la population blanche, seront soumis à une discrimination légalisée, surtout à l’époque de la construction du chemin de fer Canadien Pacifique.

Les hommes politiques en Colombie-Britannique affichaient ouvertement leur opposition à la présence des Chinois au Canada. Le sentiment anti-asiatique qui s’est propagé de la côte ouest jusqu’au Parlement du Dominion était surtout animé par la crainte de voir les emplois des ouvriers blancs, notamment ceux du chemin de fer, passer aux mains des Chinois. Les Chinois, différents dans leur façon de vivre et leurs coutumes, étaient considérés inaptes à devenir des sujets britanniques.

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Peu avant l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération en 1871, un groupe de politiciens locaux militent en faveur de l’exclusion des Chinois. Arthur Bunster, membre du Conseil législatif et lui-même immigrant irlandais résidant à Victoria, propose un impôt annuel de capitation (poll tax) de 50 $ par ouvrier chinois. Cela ne parvient pas jusqu’au vote mais Bunster reçoit l’appui officiel de Amor De Cosmos, éditeur du British Colonist - un journal influent à Victoria - et deuxième premier ministre de la Colombie-Britannique.

La présence des Chinois au Canada suscite aussi l’hostilité des syndicats. Leur cause est entendue par d’importants politiciens dont De Cosmos, Bunster, John Robson et Noah Shakespeare qui proposent des législations restrictives et mettent sur pied des associations telles que la Société anti-chinoise (Anti-Chinese Society), l’Association pour la protection des travailleurs, l’Association anti-chinoise et l’Association de protection mutuelle des mineurs (Miners’ Mutual Protection Association).

Les Chinois sont quelque peu tolérés durant la construction du chemin de fer mais l’opinion politique va se retourner contre eux au fur et à mesure de l’avancement des travaux.

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Judi Michelle Young explique comment son père a payé la taxe d’entrée …

La pose du dernier crampon de la ligne ferroviaire reliant la section ouest à la section centrale du chemin de fer Canadien Pacifique a lieu à Craigellachie (C-.B.), le 7 novembre 1885. Les travailleurs chinois, de leur côté, font l’objet d’une hostilité accrue de la part du Parlement. Grâce au dur labeur des Chinois, on assistait à l’ouverture des voies de transport, de communication et d’échanges commerciaux entre la Colombie-Britannique et le centre du Canada. Mais dans un même temps et de manière tout à fait ironique, l’ouverture de ces frontières contribua au déferlement d’une vague anti-asiatique à travers le pays.

La même année, le Parlement reçoit le rapport de la commission royale sur l’immigration chinoise présentant les points de vue des défenseurs et opposants de la main-d’œuvre chinoise. Il proclame aussi l’adoption de l’Acte du cens électoral suite à un important amendement de Macdonald stipulant que seules «les personnes de sexe masculin, incluant les Indiens mais excluant les personnes d’origine mongolienne ou chinoise» peuvent avoir accès au droit de vote.

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Par ailleurs, le Parlement s’empresse de suivre les recommandations de la Commission royale incluant la proposition d’un des deux membres de la commission, le juge John Hamilton Gray, d’établir une taxe d’entrée de 10 $ pour toute personne chinoise  - homme, femme ou enfant - arrivant à bord d’un bateau. Mais les législateurs à Ottawa iront plus loin avec l’adoption de la Loi sur l’immigration chinoise (1885) qui instaure le prélèvement d’une taxe d’entrée de 50 $ pour chaque ressortissant chinois entrant  au Canada. Cette loi oblige aussi les bateaux à restreindre le nombre de passagers chinois à raison d’un Chinois pour 50 tonnes de marchandises et attribue au capitaine la responsabilité de recueillir les taxes d’entrée sur le bateau avant le débarquement de tout membre de l’équipage ou des passagers. D’autres amendements apportés à la loi augmenteront la taxe d’entrée à 100 $ en 1900 et à 500 $ en 1903.

Il n’y a donc aucune mesure de comparaison entre les mesures politiques anti-chinoises et la distribution gratuite des terres aux immigrants européens invités à s’établir dans d’autres parties du pays. Pour les Chinois au Canada, la taxe d’entrée marque le début d’une période de racisme légalisé qui durera 62 ans.

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James Pon raconte comment il a payé la taxe d’entrée de 500 $…

Alors même que les Canadiens s’apprêtaient à célébrer la Fête du Dominion le 1er juillet 1923, le gouvernement fédéral décide d’adopter une nouvelle loi contre les Chinois et leurs familles. Il s’agit de la Loi d’exclusion qui vient remplacer la taxe d’entrée. Pendant des années, cette date sera pour les Canadiens chinois le «Jour de l’Humiliation». 

Les multiples taxes d’entrée imposées aux immigrants chinois ont rapporté au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux environ 24 millions de dollars. Cette somme équivaut presque au coût de la construction de la section ouest du Chemin de fer Canadien Pacifique. La taxe d’entrée constituait une importante source de revenu pour le gouvernement canadien qui, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, ne prélevait aucun impôt sur le revenu afin d’encourager certains groupes d’immigrants à venir au Canada.

La loi d’exclusion des Chinois, officiellement désignée comme la Loi de l’immigration chinoise est adoptée en1923 afin d’interdire l’entrée de ressortissants chinois au Canada. Elle sera abrogée en 1947 grâce au travail accompli par les défenseurs des droits civils des Canadiens chinois, notamment les anciens combattants canadiens chinois nés au Canada.

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La Loi d’exclusion a rendu encore plus difficile la vie des Chinois au Canada. Privés du droit de vote électoral, ils seront aussi exclus, dans certaines provinces et municipalités, de milieux d’affaires et de professions telles que le droit, la comptabilité, l’ingénierie et la pharmacie. Pour faire partie des organisations professionnelles, il fallait être inscrit sur la liste électorale.

Les ouvriers chinois qui sont restés après la construction du chemin de fer sont nombreux à vivre seuls puisqu’ils n’ont pas les moyens de faire venir leur famille. Plusieurs d’entre eux se lancent dans des projets modestes. Ils ouvrent des blanchisseries, des cafés et des restaurants et ont recours aux services d’autres Chinois victimes de discriminations sur le marché du travail.

La séparation des familles était un phénomène si courant que les hommes chinois se sont regroupés en une communauté de célibataires coupés du reste de la société. Souvent ce sont des hommes mariés ayant une famille mais qui, en raison de la Loi sur l’exclusion, sont condamnés à vivre seuls au Canada. Il existe de nombreuses histoires de parents et d’enfants qui, toute leur vie, n’ont jamais eu la chance de vivre ensemble, ni même de se rencontrer.

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David Wong et son grand-père qui parle de la séparation des familles…

Vers la fin du XIXe siècle, la Colombie-Britannique, jouissait d’une économie florissante et solidement ancrée dans l’exploitation des mines, des forêts et de la pêche.  Le chemin de fer contribua à attirer un nombre important de colons européens, en particulier ceux des îles britanniques, à l’est des Rocheuses. Il y avait aussi une augmentation des populations chinoise et asiatique mais elles représentaient une infime minorité par rapport à l’arrivée massive d’immigrants européens.

Le premier recensement du Canada, en 1871, établit la population chinoise en Colombie-Britannique à 1 548 – ce qui représente une fraction minime de la population totale de la province estimée à 594 207. Le développement économique qui accompagne la construction d’une nation nouvelle entraîne une explosion démographique qui porte la population à 643 871 en 1891 et parmi cette population, on distingue 9 129 habitants qui identifient la Chine comme leur lieu de naissance.

Le recensement national de 1901 révèle une population de 5 371 315 pour l’ensemble du Canada, incluant 17 312 habitants originaires de Chine, ce qui correspond alors à moins d’un tiers d’un pourcent de la population. Les immigrants britanniques, au nombre de 3 063 195, étaient pour la plupart originaires d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse.

Mais n’empêche, la psychose créée par la communauté blanche contre l’expansion de la communauté asiatique entraîne de nouvelles mesures de discrimination et même des flambées de violence - qui vont s’intensifier durant les émeutes raciales à Vancouver.

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Le 7 septembre 1907, lors d’une réunion de l’Asiatic Exclusion League réunissant des politiciens et responsables syndicaux à l’ancien hôtel de ville de Vancouver, des propos racistes visant à promouvoir l’unité de la race blanche provoquent des  débordements violents dans les rues de Chinatown et Japantown. Au cœur de la communauté chinoise, une foule déchaînée s’attaque aux vitrines des magasins le long des rues Shanghai Alley et Canton Alley et inflige des dommages substantiels aux propriétés et biens environnants.

La communauté chinoise ne restera pas les bras croisés, elle va s’organiser et se rallier pour réclamer le remboursement des dommages. Le sous-ministre du Travail, William Lyon Mackenzie King, est chargé de mener une enquête sur les réclamations. Il rencontre les représentants du gouvernement chinois, notamment Tung Cheng-King, attaché de la légation chinoise impériale à Londres (Angleterre) et deux consuls basés à San Francisco et à Portland, Oregon. À l’époque, la Chine ne disposait d’aucune représentation diplomatique au Canada. À la fin de son enquête, King recommande un paiement de 25 990 $ ainsi que 1 000 $ pour les frais de justice.

Pour la communauté canadienne chinoise, cette petite victoire aura un goût amer  puisque d’autres mesures fédérales seront adoptées pour interdire l’immigration asiatique au Canada.

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Suite à une enquête fédérale sur les dommages encourus par les communautés chinoise et japonaise lors des émeutes raciales à Vancouver, William Lyon Mackenzie King est nommé à la tête de la Commission royale sur l’immigration orientale. Le 4 octobre 1907, le secrétaire d’État explique qu’une telle enquête est nécessaire en raison de «l’afflux massif d’ouvriers orientaux en Colombie-Britannique». L’enquête porte principalement sur les Chinois même si elle inclut aussi les Japonais et les Sud-Asiatiques.

Dans son rapport final, King reconnaît que le Chinois, après la construction du chemin de fer, ne correspond plus à l’image présentée par le Premier ministre John A. Macdonald. Celui-ci avait décrit le Chinois comme un homme de passage sur une terre étrange qui est là pour ses propres raisons. Dans son rapport, King évoque le recensement de 1891, effectué six ans après la réalisation du chemin de fer, selon lequel environ 9 000 à10 000  Chinois vivaient encore au Canada  après la fin des travaux sur le chemin de fer.

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D’autres lois restrictives ...

Le rapport examine aussi les effets des diverses taxes d’entrée imposées aux immigrants chinois. Selon King, l’augmentation de la taxe de 50 $ à 100 $ et finalement à 500 $ n’a pas produit les résultats attendus. Les montants inférieurs n’ont eu aucun effet dissuasif sur l’immigration chinoise alors que la taxe de 500 $ semblait aller à l’encontre de son but initial. Cette taxe visait à réduire le flot d’immigrants chinois au Canada mais elle a finalement conduit à une augmentation de la demande pour une main-d’œuvre chinoise  de plus en plus limitée.

Les agents de recrutement, dont le négociant Yip Sang de Vancouver, appelés à témoigner lors de la Commission royale confirment qu’à partir du 1er janvier 1904, date de l’imposition de la taxe d’entrée de 500$ aux ressortissants chinois, le coût de la main-d’œuvre chinoise est devenu deux fois, sinon trois fois plus cher.

Les Chinois qui avaient les moyens de payer la taxe d’entrée étaient prêts à quitter la Chine et leur famille pour immigrer au Canada, c’était pour eux un risque à prendre mais aussi une étape nécessaire vers une vie meilleure.

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D’autres lois restrictives ...

Les provinces ont aussi adopté des lois pour enlever aux Chinois leur droit électoral. En 1876, la Colombie-Britannique établit des lois pour priver les Autochtones et les Chinois du droit de vote. En Saskatchewan, le droit de vote est enlevé aux Chinois en 1908. L’Alberta envisagea des mesures similaires mais la loi ne fut jamais adoptée. Pour faire partie de la liste électorale fédérale, il fallait être inscrit sur la liste électorale provinciale. Dans certaines associations et organisations, notamment celles représentant certains milieux d’affaires ou les professions libérales, les Chinois étaient relégués à des emplois ou travaux subalternes.

Alors que les politiciens en Colombie-Britannique cherchaient par tous les moyens à  exclure les Chinois des différentes sphères de la société et à prévenir toute forme de résistance face aux lois restrictives et discriminatrices envers la communauté chinoise, le sentiment anti-asiatique gagnait de plus en plus de terrain et s’étendait vers l’est du pays. En 1912, la Saskatchewan adopte le Code du travail des femmes blanches (White Women’s Labour Protection Law) officiellement nommée «Act to Prevent the Employment of Female Labour in Certain Capacities» qui interdit aux Blanches de travailler dans un restaurant, une blanchisserie ou tout établissement commercial ou lieu de divertissement tenu ou dirigé par un Japonais, un Chinois ou tout autre Oriental. Cette loi, comme tant d’autres mesures, visait à éliminer toute concurrence de la part d’entrepreneurs chinois.

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A cause de leur race, les Chinois étaient confrontés à diverses formes de discrimination même lorsque les lois étaient censées accorder des droits universels. Un cas exemplaire est celui de Yong Hong Yan, le père de l’artiste torontoise Judi Michelle Young. Yong Hong Yan était un travailleur chinois du chemin de fer qui a obtenu son certificat de citoyenneté canadienne en 1899. Il a effectué plusieurs voyages en Chine et à chaque retour au Canada, il fut contraint par des douaniers investis de pouvoirs discrétionnaires à payer la taxe d’entrée.

En 1906, Terre-Neuve-et-Labrador, alors séparé du Dominion britannique, passe sa propre loi intitulée Act Respecting the Immigration of Chinese Person et impose une taxe d’entrée de 300 $ aux Chinois qui débarquent sur son territoire. Cette loi est révoquée en 1949 lors de l’entrée de Terre-Neuve dans le Canada.

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Larry Kwong parle des difficultés à trouver un emploi…