«J’avais une sœur. Ma sœur est née en Chine et elle est restée en Chine car nous n’avions pas les moyens de payer la taxe d’entrée de 500$.
«Rien qu’à voir notre village, notre village ancestral, on réalise la portée de leur décision [de venir au Canada], c’était pour nous le seul moyen d’échapper à la pauvreté …C’était un projet ambitieux et il fallait l’accomplir coûte que coûte.
«C’était l’époque où, pratiquement, les Chinois ne pouvaient pas travailler pour les Blancs. Ils ne voulaient pas de nous».
«Lorsqu’il est revenu (de la guerre) ils lui ont dit «Vous êtes Chinois, donc vous ne pouvez pas être ingénieur. Il a dit «je veux aller à l’université, il était entendu que si je m’enrôlais dans les forces armées, mes études universitaires seraient payées à mon retour»… voilà comment cela s’est terminé : les trois frères qui étaient partis à l’étranger sont finalement devenus des tailleurs».
«Oui, j’étais bien traité. Tu sais quoi? Ils avaient de l’admiration pour moi parce que j’étais le «petit Chinois» qui jouait avec les grands. Et ils ont toujours été corrects avec moi. À l’époque, je comprenais très peu le français, mais du moins je comprenais quand ils disaient «Chinois» et «petit Chinois».
"The whole purpose of the implementation of the head tax was to stop Chinese immigrants, and being awarded Canadian citizenship, he had no idea that he was subject to it as well."
Après le chemin de fer
Le Canada représente pour les immigrants une terre d’opportunités. Il y a d’abord eu la ruée vers l’or dans la vallée du Fraser vers la fin des années 1850, puis la construction du chemin de fer Canadien Pacifique au début des années 1880 et ensuite la construction du Canada en tant que pays. Attirés par la promesse d’une vie meilleure, les Chinois sont venus dans ce pays avec leur sang, leur sueur et leurs larmes.
Même après la construction du chemin de fer, la Montagne d’or n’avait rien perdu de son lustre. Les compagnies de chemin de fer, très actives à travers le pays, avaient toujours besoin de main-d’œuvre. Les Chinois, contraints à payer la taxe d’entrée, étaient désavantagés par rapport aux autres immigrants qui profitaient pleinement de la croissance économique au Canada.
Mais les Chinois étaient toujours attirés par le Canada. Les opportunités et les chances de réussite y étaient meilleures qu’en Chine. En 1908, le rapport de la Commission royale sur l’immigration orientale décrit la situation du Chinois immigrant au Canada comme suit :
page 2 >«Il ne connaît pas grand-chose du Canada, il vient d’un pays où l’ouvrier non qualifié gagne 5 à 10 sous par jour, un ouvrier qualifié le double ou peut-être le triple; cette somme, un salaire de 20 $ à 40 $ par mois pour un ouvrier et un salaire de 10 $ à 30 $ pour un domestique permet à l’immigrant chinois d’amasser, au bout de quelques années, la fortune qu’il est venu chercher dans ce pays».
Le gouvernement ne pouvait pas - ou ne voulait pas - encourager la réunification des travailleurs du chemin de fer avec les membres de leur famille restés en Chine.
Après la construction du chemin de fer, de nombreux Chinois sont restés au Canada. Certains d’entre eux n’avaient pas les moyens de retourner en Chine, d’autres ont pu fonder leur propre famille grâce à leurs économies. Il y avait aussi ceux qui espéraient une éventuelle réunification de toute la famille sur la Montagne d’or.
< page 1Les hommes chinois qui sont restés après la construction du chemin de fer ont dû chercher d’autres moyens pour gagner leur vie. Malgré la taxe d’entrée, de nombreux jeunes Chinois ont pu commencer une famille ici ou ont entrepris des démarches pour faire venir leur épouse, leurs fils et leurs filles restés en Chine. Certains ont réussi, d’autres non.
Ce qui relie entre eux les participants du projet Les liens qui unissent, ce sont les histoires de persévérance, de familles sacrifiées, séparées et le profond respect envers leurs ancêtres qui ont fait le choix de venir s’installer au Canada. Même si on ne connaît pas toujours les raisons qui ont poussé un père, un grand-père ou un arrière-grand-père à tout laisser en Chine pour un nouveau départ dans un pays étranger, on ne peut toutefois nier l’impact de cette décision sur la vie de leurs familles aujourd'hui.
L’interviewé David Chu raconte comment ce projet ambitieux fut conçu quatre générations avant lui par des héritiers mâles prêts à surmonter les obstacles les plus difficiles pour commencer une nouvelle vie au Canada. Depuis qu’il a quitté la Chine en 1881 pour venir au Canada, Willy Nipp, l’arrière-grand-père de Cindy Leong, n’est jamais revenu en arrière. La famille de Brian Joe a planté ses racines au Canada bien avant l’imposition de la taxe d’entrée et la Loi d’exclusion.
page 2 >À travers des associations de clan, la Chinese Benevolent Association et les réseaux familiaux ou villageois, les Chinois se sont entraidés pour surmonter les barrières imposées par la taxe d’entrée, l’adoption de la Loi d’exclusion et aussi pour réunifier les familles à travers les distances et les générations.
Le remboursement de la taxe d’entrée pouvait s’effectuer sur toute une vie. Landy Ing-Anderson, une des interviewées raconte comment son grand-père, Ralph Lun Kee Lee, dont le voyage avait été financé par les habitants de son village en1912, «envoyait de l’argent régulièrement» à son village ancestral. «Il s’est acquitté de cette tâche jusqu’à la fin de ses jours».
Séparés de leur famille par la Loi d’exclusion, certains Chinois, installés ici depuis longtemps, ont établi des familles en Chine et au Canada. Le père de Judi Michelle Young a élevé trois familles, alors que le grand-père de Ron Lee, Lee Duck, avait quatre épouses dont une au Canada. Les familles étendues étaient courantes à l’époque des hommes de la Montagne d’or.
Après le chemin de fer, les Chinois qui sont restés au Canada devaient travailler encore plus dur pour élever leurs familles. Nombre d’entre eux ont eu recours à des moyens non traditionnels pour assurer leur descendance, ils ont adopté des fils, d’autres membres de la famille ou échangé des papiers d’identité pour permettre à la famille de venir au Canada. L’interviewé Kwoi Gin décrit son père comme un «fils de papier».
< page 1La participation des Chinois à la construction du Canada s’est poursuivie bien après l’achèvement de la ligne principale du chemin de fer Canadien Pacifique à Craigellachie (C.-B.), le 7 novembre 1885. Le CFCP était très actif à travers le pays et il est demeuré l’un des principaux employeurs des travailleurs chinois qui sont restés au Canada après 1885 mais aussi de ceux qui ont migré au Canada avant l’adoption de la Loi sur l’exclusion.
«Il aimait montrer comment il coupait les traverses de chemin de fer» raconte Landy Ing-Anderson, une interviewée des Liens qui unissent, à propos de son grand-père décédé, Ralph Lung Kee Lee, qui travaillait pour le CFCP à Thunder Bay en 1917.«Il en parlait des fois, des conditions de travail, il était traité comme un chien, et il fallait travailler du lever au coucher du soleil».
Le grand-père de l’interviewé Ron Lee, le défunt Lee Duck, a quitté la Chine en 1905 et a décroché son premier emploi comme mécano. Son travail consistait à huiler le dessous d’une locomotive à vapeur chargée de faire le voyage de Vancouver. Par la suite, Lee Duck a ouvert une blanchisserie à Lethbridge, Alberta. Larry Kwong, le premier Asiatique à devenir joueur professionnel de hockey, décrit son père comme un prospecteur d’or.
page 2 >Les travailleurs contractuels chinois étaient très présents dans les premières industries qui, au Canada, comprenaient les mines, le bois, la pêche et les conserveries. Ils trouvaient aussi des emplois comme domestiques à Victoria, Vancouver et dans d’autres villes. D’autres préféraient ouvrir leurs propres entreprises. Bien que modestes, ces établissements représentaient un moyen d’éviter la discrimination et de devenir plus indépendants.
Les entrepreneurs chinois étaient surtout attirés par les établissements de blanchisserie, de jardinage, les restaurants et les cafés. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils étaient pratiquement exclus des professions libérales en raison d’une politique de discrimination continue envers les Canadiens chinois.
< page 1Jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, la citoyenneté au Canada demeure une question épineuse pour les Chinois. La Loi d’exclusion des Chinois ainsi que d’autres politiques discriminatoires provinciales et fédérales, interdisaient aux Chinois l’accès de plein droit à la citoyenneté jusqu’en 1947, l’année de l’abrogation de la Loi. Mais il y eut quelques exceptions puisque Yong Hong Yan, le père de l’interviewée des Liens qui unissent, Judi Michelle Young, réussit à obtenir sa naturalisation même s’il demeurait soumis aux mesures discriminatoires alors en vigueur.
Aujourd'hui reconnue comme un droit de naissance, la citoyenneté fut refusée à la première génération de Chinois nés au Canada. La plupart d’entre eux avaient des certificats de naissance qui les identifiaient clairement comme «sujet britannique et non citoyen canadien».
Déterminés à dénoncer et à combattre l’injustice de la Loi d’exclusion, de jeunes Chinois et Chinoises, nés au Canada se sont portés volontaires pour servir le Canada lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais ils furent déclarés inaptes au service actif suite à la campagne orchestrée contre leur participation à la guerre par les premiers ministres de Colombie-Britannique et de Saskatchewan à Ottawa.
page 2 >Cette campagne visait à prévenir toute demande de la part des Chinois pour une reconnaissance de leur droit de citoyenneté à part entière – incluant la restauration du droit de vote. Mais les Canadiens chinois furent mobilisés par la suite et ils étaient pas moins de 800 jeunes - hommes et femmes - à s’engager dans toutes les branches de l’armée et les différents théâtres d’opérations.
Bevan Jangze, le père de Kevan Jangze, l’interviewé des Liens qui unissent, faisait partie des forces spéciales britanniques comme opérateur radio des missions clandestines derrière les lignes ennemies en Birmanie. Walter Joe, le père de Brian Joe, refusé une première fois lorsqu’il essaya de joindre l’Armée de l’air royale canadienne, fut ensuite engagé comme opérateur radiotélégraphiste de l’armée de l’air, de 1942 à 1945. Jack Lee, l’oncle de l’interviewé Ron Lee, qui habitait Lethbridge, Alberta, s’enfuit de chez lui à l’âge de 16 ans pour s’engager dans les Regina Rifles et il a combattu en Belgique, en Hollande, en Normandie et en Allemagne.
Après la guerre, de nombreux vétérans canadiens chinois se sont regroupés pour défendre leurs droits en tant que citoyens canadiens. La Loi d’exclusion des Chinois fut abrogée en 1947.
< page 1L’émigration de la Chine vers la Montagne d’or s’est poursuivie après la construction du chemin de fer. Malgré l’imposition de la taxe d’entrée, le Canada est devenu la principale destination suite à la Loi d’exclusion des Chinois adoptée par les Etats-Unis en 1882 afin d’interdire toute immigration chinoise dans ce pays.
Les recensements du Canada indiquent qu’en 1901, plus de 85% des Chinois au Canada vivaient en Colombie-Britannique où ils représentaient un peu plus de 8% de la population provinciale. Toutefois, vers 1921, 40% des Chinois vivant au Canada avaient déménagé à l’est des Rocheuses. Autour de 1941, la moitié des Chinois vivaient sur la côte ouest et le reste était dispersé à travers le pays.
Les Chinois poursuivaient leur chemin vers les Prairies, le centre du Canada et les Maritimes malgré la discrimination et l’hostilité des provinces envers la présence des Chinois. Souvent, ils allaient rejoindre des parents et des amis déjà établis.
Les interviewés des Liens qui unissent parlent de leur famille après le chemin de fer …
... Les liens qui unissentLe père d’Alexandria Sham décide de quitter l’atelier de tailleur de son père à Vancouver pour travailler dans les scieries à Port Alberni, puis il reprend la route vers le Québec et l’Ontario où il trouve du travail chez General Motors à Oshawa. C'est à Saskatoon qu’il s’établira finalement pour élever sa famille. Ayant suivi les traces de son arrière-grand-père au Canada, Kwoi Gin et ses parents sont maintenant établis à Toronto après une longue période de séparation.
Jim Pon a pu quitter le milieu de la restauration, il a entrepris des études et il a déménagé en Ontario où il a travaillé pour De Havilland Aviation durant la guerre, et ensuite comme ingénieur pour Énergie atomique du Canada Limitée. Le grand-père de Landy Ing-Anderson a d’abord travaillé pour le chemin de fer à Fort William, aujourd'hui Thunder Bay, et a ensuite déménagé à Windsor (Ontario) pour élever sa famille.
Le grand-père de David Chu, à l’instar de trois générations de sa famille avant lui, est venu au Canada pour travailler sur le chemin de fer avant de s’établir à Toronto. La famille Chu a ouvert des blanchisseries à Toronto et à Espanola (Ontario), la ville où est né David. Le père de Judi Michelle Young a travaillé comme traducteur pour le CFCP après la construction de la ligne principale. D’abord basé à Mission (C.-B.), il a déménagé à l’est et a ouvert un magasin de fruits et légumes avec sa deuxième famille à Montréal. Puis il est retourné en Chine avant de revenir au Canada où il a élevé sa troisième famille à Toronto.
page 2 >Le père de Larry Kwong était un prospecteur d’or près de Cherry Creek (C.-B.) lors de la construction du chemin de fer et il a ensuite ouvert un magasin général familial à Vernon (C.-B.). Alors que ses frères et sœurs quittent la maison familiale pour travailler avec d’autres entrepreneurs chinois dans les petites villes à l’intérieur de la Colombie-Britannique et à Calgary, Larry a emprunte un chemin différent : il sera le premier Canadien d’origine asiatique à devenir joueur professionnel de hockey en Amérique du Nord. Il connaîtra une carrière sportive qui, de New York, l’amènera à Québec et de l’autre côté de l’Atlantique, en Angleterre et en Suisse.
Le père et le grand-père de Stan Fong ont déménagé à Calgary où ils travaillaient tous deux dans une fabrique de briques. Stan et son frère ont grandi dans la ville de Wayne, située dans la ceinture minière de l’Alberta, où leurs parents s’occupaient du restaurant familial, de la ferme et opéraient un service de transport routier. Ron Lee travaillait dès son plus jeune âge avec ses parents, ses oncles et tantes dans les établissements de blanchisserie de son grand-père à Lethbridge (Alberta).
< page 1 | page 3 >Le grand-père de Cindy Leong, Willy Nipp, a ouvert une mercerie avec quelques associés à Cumberland (C.-B.) après la construction du chemin de fer, puis il a commencé sa propre entreprise à Vancouver. L’arrière-grand-père de David Wong, qui travaillait sur le chemin de fer, a parcouru les Prairies avant de s’établir près de North Battleford, en Saskatchewan.
Le père de Kevan Jangze a déménagé à Vancouver après la mort de son grand-père et la ruine de la famille durant la Grande Dépression. Le père de Brian Joe a élevé sa famille dans la région de l’Okanagan, en Colombie-Britannique. Aujourd'hui, Kevan et Brian, tous deux descendants de commerçants chinois à Yale (C.B.), font partie d’une même entreprise spécialisée dans la vente d’immobilier dans la région du Lower Mainland de la Colombie- Britannique.
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