« C’est tout simplement une question de choix – entre l’utilisation de cette main-d’œuvre ou le chemin de fer».
«Mon père est arrivé en 1884 à bord d’un voilier … il était attiré par les mines d’or. Il voulait participer à la ruée vers l’or».
«[Mon grand-père] Willy Nipp est venu en 1881 pour travailler sur le chemin de fer, il a travaillé sur le chemin de fer de 1881 à 1884. Nous ne savons pas exactement où il a travaillé sur le chemin de fer mais nous savons qu’il était originaire du comté de Ying-Ping dans la province de Guangdong».
«Ils sont venus de Chine et ils n’étaient pas préparés pour le rude climat qui les attendait. Ils voulaient fuir la famine…»
«Il y avait trois enfants. Il (grand-père) était avec ses cousins. Ils avaient seulement huit ou neuf ans. Selon les histoires transmises par la famille, les trois garçons avaient des pancartes autour du cou avec leur nom et leur date de naissance lorsqu’ils sont arrivés ici».
Les travailleurs chinois du chemin de fer
Les travailleurs chinois ont contribué de manière significative à la construction et au maintien du chemin de fer. Plus de 17 000 Chinois sont arrivés au Canada entre 1881 et 1884. Des milliers d’entre eux venaient des régions côtières des Etats-Unis où ils travaillaient sur le chemin de fer transcontinental américain, mais la grande majorité arrivaient directement du sud de la Chine. On ne connaît pas leur nombre exact même si la plupart d’entre eux ont travaillé sur les chantiers de construction du chemin de fer.
Ils étaient très mal vus en Colombie-Britannique. Il existait alors un profond sentiment de racisme envers les Chinois qui étaient de plus en plus nombreux suite à la ruée vers l’or à la fin des années 1850. Les articles de journaux et les éditoriaux présentaient une image peu reluisante des Chinois. Nombre d’entre eux craignaient un remplacement des travailleurs blancs par les travailleurs chinois prêts à accepter des salaires plus bas. En raison de leur incompréhension face à la culture chinoise, les Canadiens blancs affichaient un réel mépris pour le mode de vie, les tenues vestimentaires et même les rites funéraires des Chinois.
page 2 >Durant la période entourant la construction du chemin de fer, il y eut de nombreuses propositions en vue de limiter ou de restreindre l’immigration chinoise, les droits des Chinois et leur participation à l’économie canadienne. Seules quelques-unes d’entre elles furent approuvées, notamment le 1872 British Columbia Qualifications of Voters Act qui refusait aux Chinois et aux Autochtones le droit de vote. La Loi sur l’immigration chinoise est adoptée en 1885 lorsque la main-d’œuvre chinoise n’est plus requise sur les chantiers de construction. Cette loi visait à freiner l’immigration chinoise à travers l’imposition d’une taxe d’entrée de 50 $ par personne.
< page 1Les Chinois surnommaient la côte pacifique nord de l’Amérique du nord la «Montagne d’or». L’origine du surnom remonte à l’époque de la découverte de l’or en Californie vers la fin des années 1840 et en Colombie-Britannique une décennie plus tard. Avec le temps, la Montagne d’or a pris un sens plus large puisqu’il désignait non seulement la découverte de l’or mais aussi les divers moyens d’accéder à la prospérité.
Les premiers Chinois à arriver en Colombie-Britannique à la recherche de l’or venaient des champs aurifères en Californie. Suite à épuisement des champs, de nombreux prospecteurs se sont dirigés vers le nord à la recherche de nouveaux gisements d’or le long du fleuve Thompson dans le canyon du fleuve Fraser. Ils ont pris le bateau et sont arrivés à Victoria sur l’île de Vancouver au printemps 1858. Durant la même année, d’autres prospecteurs sont arrivés directement de Chine. Le Daily Colonist de Victoria rapporte l’arrivée d’environ 4 000 Chinois rien qu’en 1860. La ruée vers l’or a transformé la vie somnolente de Victoria. La petite ville qui comprenait seulement 300 résidents britanniques en 1858 devient au printemps de 1860 une communauté vibrante composée de 1 577 résidents chinois et de 2 884 résidents blancs.
page 2 >La plupart des nouveaux arrivants se sont dirigés vers les champs aurifères. Mais il y avait aussi ceux qui ne s’intéressaient pas à la recherche de l’or. Plusieurs comme Chang Tsoo de San Francisco se sont lancés dans le commerce et l’approvisionnement des vivres et autres produits pour les chercheurs d’or. D’autres ont trouvé du travail dans les mines de charbon et le secteur de la pêche, dans le nettoyage et les conserveries de poisson.
Les travailleurs du chemin de fer qui voulaient fuir la pauvreté en Chine étaient aussi à la recherche de leur Montagne d’or.
< page 1La plupart des travailleurs chinois du chemin de fer venaient de Guangdong et de Fujian, deux provinces côtières dans le sud de la Chine. Ils parlaient le cantonnais ou un des sous-dialectes. La plupart d’entre eux étaient des paysans et adhéraient aux principes du confucianisme qui prône l’harmonie sociale à travers le respect des aînés, l’honneur au passé et à la famille. C’était des sociétés de type patriarcal où le plus ancien de la famille exerce son autorité sur le reste de la famille.
Le rôle de l’individu dans la société était déterminé par son lignage familial ou son appartenance à un clan familial, à un même village ou district. Le clan fournissait de l’aide à ses membres qui, en retour, contribuaient au succès du groupe. Souvent, le voyage au Canada était financé par les membres de la famille, du village ou du clan. Le système de clan venait en aide aux épouses et enfants restés au village. Certains d’entre eux attendaient des décennies avant de revoir leur époux ou leur père.
page 2>Arrivés au Canada, les hommes ont maintenu les mêmes valeurs sociales et ont établi des associations de village à Victoria en vue de venir en aide aux nouveaux arrivants. Ils envoyaient de l’argent à leur famille, leur village ou participaient à des projets communautaires tels que la construction d’un nouveau pont pour le village.
Les travailleurs du chemin de fer étaient jeunes et souvent des adolescents. En 1880, le journal Inland Sentinel écrit : «ils ont surtout l’air de jeunes garçons … peu habilités au travail sur le chemin de fer». Certains d’entre eux sont retournés en Chine pour se marier alors que d’autres, pour diverses raisons, notamment les restrictions de voyage imposées par le gouvernement canadien, vivaient seuls au Canada.
< page 1La situation en Chine était très instable vers le milieu des années 1800. Deux événements majeurs – la Guerre de l’Opium et la révolte des Taiping, ont causé la mort de dizaines de millions de personnes. La population croissante n’arrivait pas à se nourrir en raison d’une pénurie de terres cultivables; il y avait aussi la disparition d’une industrie familiale florissante - qui comprenait, entre autres, la production de tissus tissés à la main - suite à l’importation des produits de l’Occident; et d’importantes pertes agricoles causées par les inondations et autres catastrophes naturelles. Les villages vivaient sous la terreur des bandits et pirates qui profitaient de l’instabilité sociale. La pauvreté et la famine régnaient dans tout le pays.
page 2>La plupart des Chinois qui sont venus au Canada étaient originaires des régions rurales autour du Delta de la rivière des Perles dans la province de Guangdong. Ils vivaient sur de petites fermes appartenant à une poignée de Chinois qui s’étaient appropriés presque toutes les terres environnantes. Les impôts et les loyers exorbitants accaparaient tous les revenus de la ferme et les paysans devaient emprunter de l’argent pour nourrir leur famille. De nombreux paysans ont préféré quitter la ferme pour trouver du travail à Canton, la capitale de Guangdong. Mais il l était tout aussi difficile de trouver du travail à Canton où régnait une compétition féroce. La découverte de l’or en Californie et en Australie représentait pour eux la lumière au bout du tunnel. Selon les estimations portant sur une période de quatre ans - de 1848 à 1852 - environ 25 000 hommes ont entrepris le long voyage à travers le Pacifique pour se joindre à la ruée vers l’or en Amérique et en Australie. Durant les années 1870 à 1880, des dizaines de milliers de Chinois sont partis en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis et au Canada pour trouver du travail sur les chantiers de construction des chemins de fer.
< page 1La plupart des Chinois qui arrivaient au Canada pour travailler sur le chemin de fer venaient directement du sud de la Chine. Les agences de recrutement dans la province de Guangdong affichaient les possibilités d’emploi au Canada et faisaient les arrangements pour le voyage en bateau. Ces compagnies s’occupaient aussi des contrats de travail individuels et offraient une certaine protection aux travailleurs à leur arrivée au Canada. En retour, chaque travailleur devait remettre à la compagnie 2½ % de son salaire et environ 40 $ pour le coût du voyage dès sa première paie. Les hommes étaient placés dans des groupes qui pouvaient contenir jusqu’à un millier de personnes. En 1882, environ 6 000 hommes ont quitté la Chine pour le Canada à bord des dix voiliers affrétés par Andrew Onderdonk.
Le voyage de Hong-Kong à Victoria sur l’île de Vancouver durait plusieurs mois. Entassés dans des voiliers à trois mâts, les travailleurs chinois voyageaient dans des conditions déplorables. Dans les notes de Henry Cambie qui travaillait comme ingénieur pour Onderdonk, on retrouve ceci : «sur le pont inférieur les hommes dorment enfermés dans des cales mal aérées…». L’eau et la nourriture étaient insuffisantes et nombre d’entre eux mourraient avant d’atteindre leur destination. À Victoria, ils prenaient le ferry à travers le détroit de Georgia pour se rendre à Westminster sur le territoire continental de la Colombie-Britannique. Là, ils montaient à bord de petites embarcations pour la dernière partie de leur voyage en bateau le long du fleuve Fraser jusqu’à Yale (C.-B.).
page 2>La Commission royale sur l’immigration chinoise rapporte en 1885 que 15 701 Chinois sont arrivés au Canada de janvier 1881 à juin 1884. Durant la période de juin à octobre 1884, il y a eu 1 700 nouvelles arrivées. Pendant ces quatre années il y a eu, au total, 17 000 nouveaux arrivants qui, il faut le préciser, n’étaient pas tous des travailleurs du chemin de fer.
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